I. SIDI ALI-BEN-MAHAMMED ET SIDI BOU-ZID 21plus penser à faire ce long voyage A pied. Sidi Bou-Zid priadonc Dieu de lui souffl er quelque bonne inspiration au sujetde cette affaire qui faisait son tourment. Il reçut en songeune réponse qu’il se hâta de communiquer, tout triomphant,à Sidi Ali. C’était celle-ci : « Puisqu’il est de toute impos-sibilité au marabout de Saguiet-El-Hamra d’arriver pour le moment du pèlerinage aux Villes vénérées en faisant laroute à pied, qu’il voyage sur une monture rapide et infati-gable, sur un chameau, par exemple. »La solution était, en effet, trouvée ; Sidi Ali n’était paséloigné de l’adopter, lorsqu’il se mit à réfl échir au déchetqu’allait subir le chiffre des bonnes actions dont il avaitprojeté de grossir son actif. Il avait fait son compte enpartant de Saguiet-El-Hamra ; il avait estimé, un nombrerond, bien entendu, qu’il lui fallait tant de bonnes ac-tions d’économie pour les éventualités ; sept cents bonnesactions de gain par chaque pas lui faisaient tant au bout duchemin, et il y a loin, nous le répétons, de l’ouad Draâà Mekka, même en ligne directe. C’était donc une belleavance, et cela le mettait tout à fait à l’aise pour longtemps,c’est-à-dire que cela le dispensait d’y regarder de si prèsdans le cas où il prendrait à Chithan (Satan) la fantaisie dele tenter ; il pouvait, en un mot, y aller largement. Mais levoyage au moyen d’une monture réduisait singulièrementle chiffre de ses pieuses allocations, puisque chaque pasne valait plus alors que soixante bonnes actions. C’étaità y regarder. Tout en regrettant d’être obligé d’en passer par là, Sidi Ali fi nit cependant par se résoudre à accepter le mode de locomotion que lui proposait Sidi Bou-Zid, cemarabout s’étant chargé, du reste, de lui fournir le droma-daire qui devait lui prêter le secours de son dos pour l’aller et le retour.
22 L’ALGÉRIE LÉGENDAIRELe départ ayant été fi xé au lendemain, on s’occupa sansdélai, car il n’y avait pas de temps A perdre, des détails sipénibles du démarrage.Le matin, à la pointe du jour, après avoir reçu les souhaitsde Sidi Bou-Zid, et lui avoir promis de repasser,
in chaAllah !
s’il plaisait A Dieu, par Haci-Tiouelfi n à son re-tour des Villes saintes, Sidi Ali mit la tête de sa monture dansla direction de l’est, et l’y poussa par quelques énergiquesappels de langue. Le dromadaire n’obéit pas franchementaux excitations de Sidi Ali ; il hésita, et ce n’est qu’aprèsavoir plongé son long cou dans le nord et dans le sud qu’il sedécida à marcher. Quelques minutes après, le marabout et labête disparaissaient derrière la Tnïet-Et-Tagga.Cette hésitation montrée au départ par son dromadairene laissa pas que d’inquiéter Sidi Ali : c’était un mauvaisprésage ; un corbeau, qui errait seul à sa gauche et commeégaré dans le ciel, vint encore augmenter ses craintes ausujet de l’issue de son voyage; cependant, il ne voulut pasretourner sur ses pas et attendre, pour se remettre en route,des conditions plus favorables. Il eut tort.Il y avait environ trois heures que Sidi Ali était parti,quand on le rapporta blessé à la tente de Sidi Bou-Zid : enarrivant sur l’ouad Taouzara, la monture de Sidi Ali s’étaitobstinément refusée à traverser ce cours d’eau. Le mara-bout, qui croyait à un caprice de l’animal, voulut insister pour qu’il passât : résistance de la part de la bête, persistan-ce de celle du saint, nouveau refus très accentué du droma-daire avec accompagnement de mouvements désordonnés ;bref, chute de Sidi Ali avec une fracture à la jambe.Le saint marabout fut, fort heureusement, rencontrédans ce piteux état par des Oulad Mohani, à qui-il racontasa mésaventure; il les pria, après s’être fait connaître, de le
I. SIDI ALI-BEN-MAHAMMED ET SIDI BOU-ZID 23transporter à la tente de Sidi Bou-Zid, ce qu’ils fi rent avecle plus grand empressement, car ils pensèrent qu’ils avaienttout à gagner, dans ce monde et dans l’autre, à rendre ser-vice à un homme qui, fort probablement, avait l’oreille despuissants de la terre et celle du Dieu unique.Sidi Bou-Zid fi t donner à Sidi Ali tous les soins que ré-clamait son état ; les plus savants
athoubba
(médecins) destribus environnantes furent appelés en consultation auprèsdu saint homme. Après lui avoir fait tirer la langue à plu-sieurs reprises, ils reconnurent à la presque unanimité queSidi Ali s’était cassé la jambe droite ; l’un de ces médecinsprétendit que c’était la jambe gauche qui était fracturée ;mais on ne s’arrêta pas à cette opinion, qui ne paraissaits’établir, du reste, que sur un diagnostic manquant de sé-rieux. Pourtant, en présence de cette divergence de maniè-res de voir, le doute entra dans l’esprit de Sidi Bou-Zid, et,comme il ne tenait pas à se brouiller avec le
thebib
dissi-dent, qu’il regardait d’ailleurs comme un praticien d’unetrès grande habileté, il fi t tous ses efforts pour engager SidiAli à se laisser poser des appareils sur les deux jambes. Lesaint homme y consentit, puisque cela paraissait faire plaisir à son hôte; mais il ne put s’empêcher de lui faire remarquer qu’il ne croyait que médiocrement à l’effi cacité des attellessur le membre qui n’était pas détérioré.Dieu n’avait donc pas voulu que Sidi Ali-ben-Ma-hammed fi t son pèlerinage à
Oumm et Koura
, la mère descités; peut-être son accident était-il une punition du retardqu’il avait apporté dans l’accomplissement de ce pieux pro-jet. Mais, comme, en résumé, le saint marabout se piquaitd’être un parfait
mouslim
(1)
, c’est-à-dire résigné à la volonté
__________________ 1. Muslam.