TARIQA KHALWATIA RAHMANIA
Durant la longue histoire de notre pays, les Zaouïas algériennes, écoles par excellence du Coran, des sciences religieuses et d’initiation au tassawùf, se sont impliquées dans la défense et l’expansion de l’Islam, ainsi que dans le combat pour la libération et l’indépendance de l’Algérie.
Les premières Zaouïas, implantées en Algérie, furent de véritables ribats, dont l’une des principales missions était de repousser les tentatives d’évangélisation des populations algériennes, notamment celles de François d’Assise en 1212, de Raymond Lulle en 1276, des Capucins de Matteo Bascio en 1538, des Récollets vers 1600…….
Dans les premiers temps de l'islam, c'est-à-dire en gros jusqu'à la chute des Al-Muwahhidynes (Almohades en français) à la fin du XIIIème siècle, les Amazighen avaient tentés d'échapper aux rigueurs de l'orthodoxie musulmane par l'invention de doctrines nouvelles. Ainsi, les Kharidjites de Tahert, avaient fondé le premier Etat véritablement national; les Kotama (de Bougie) avaient crée le troisième Khalifat fatimide panislamique après celui des Umawiyn (Omeyades en français) et des Abbassides ont fondé l'université d'El Azhar au Caire; les Al-Murabitun (Almoravides en français) avaient crée un empire amazigh; les Al-Muwahhidynes avaient réalisé l'apogée à la fois de l'histoire et de la pensée de ce temps.
Au départ, le mouvement Al-Murabitun est crée pour s'opposer aux actions de plus en plus entreprenantes de la Reconquista Hispano-portugaise sur les côtes Nord-Africaines.
Il est inutile de rappeler que c’est en souvenir des ribats Almoravides, où on apprenait le Coran, la science du hadith et les préceptes de l’Islam ainsi que le maniement des armes, que s’est formé le nom de "mrabet" que les Français désignent sous le nom incorrect et péjoratif de "marabout".
Le nom marabout est une forme berbériste du terme arabe (mrabet), lui-même homonyme populaire du classique Murabit; d'où est sorti almoravides.
Le terme du nom originel (antéislamique) de marabout c'est Agourram, désignant surtout un personnage doué de pouvoirs plus magiques que religieux. Celui-ci ne gère point le domaine du sacré mais manipule les forces supranaturelles.
La baraka du marabout est un pouvoir surnaturel, il opère des miracles. Pour cela, il est le lieu à la fois des espoirs et de toutes les craintes : on attend (ou on redoute) de lui autant que Dieu. Parce que en tant qu’homme, quoique marabout, il est plus proche de nos manques, de nos misères et de nos vœux..."
Le maraboutisme serait né dans le sud-ouest Marocain à Séguia Al-Hamra Arabia, le Rio de Oro Espagnol "le fleuve rouge" ou l'actuel Sahara Occidental. "...Très vite, le maraboutisme, se réclamant de la lignée du Prophète (les Chorfas), avait annexé les pouvoirs, le statut et les valeurs des anciens Agourram...".
À leur arrivée en Kabylie au XVIe siècle et à cette époque, le maraboutisme a déjà accompli sa mutation en agourram. Car, les marabouts (presque tous des Amazighs arabisés à vocation religieuse ou/et guerrière se réclamant des Béni Hassan, petit fils du Prophète, du Sud-ouest Marocain) trouvèrent dans la région des conditions sociologiques et culturelles semblables à celle de leur pays d'origine.
Les tribus qui peuplaient à l’origine ce qui fut le Sahara espagnol (Séguia el-Hamra et Río de Oro) étaient des Berbères Sanhadja et Zenâtas et nomadisaient dans un espace compris entre le cap Bon et le Sud Marocain dans des zones qui relèvent aujourd’hui de la souveraineté de trois États : la Mauritanie, le Maroc et l’Algérie.
Pour comprendre l’origine de cette catégorie de population, son état d’esprit et son rôle, il faudrait remonter dans l’histoire du Maghreb afin de situer les évènements qui l’avaient placée en ces lieux.
Nombreux parmi ces Al-Murabituns, les uns fuyant la répression, les autres par solidarité avec leurs Khouans, quittèrent leur pays. Un certain nombre d’entre eux se dirigèrent vers le Sud et se rassemblèrent à Séguia -el-Hamra autour du Ribat. Pour se rendre mystérieux, lors de leur déplacement, ils déclaraient venir du pays lointain de l’Ouest (afin que nul ne puisse contrôler leurs dires), de Séguia-el Hamra.
Grâce à leur savoir, leur sagesse, leur simplicité, ils acquirent une telle renommée qu’on venait de loin pour les consulter sur des litiges d’ordre religieux et qu’on leur envoyait leurs enfants s’initier aux sciences islamiques dans leur Zaouia.
Respectés de leur vivant, ils furent vénérés à leur mort et leur tombe ou leur mausolée, entourés de légendes, devinrent un lieu de pèlerinage. Leurs descendants qui suivirent la même voie, appelés "Ahl el ilm", conservèrent le même prestige et jouèrent un rôle important dans la vie politique du pays (soulèvement contre les Turcs, contre la colonisation française).
Genèse de la Tariqa Khalwatia Rahmania
A la fin du XIVe, début du XVe siècle, une célèbre confrérie fit son apparition en Algérie : c’est celle de la tarîqa Khalouatia donnant naissance aux confréries Tidjania et Rahmania.
Le nom Khalwatia prend son origine de la Khalwa (retraite) qui est le plus important des fondements de cette méthode de direction spirituelle qui remonte au saint Prophète s.s.p.
Sidi Mustapha Kamal Eddine El Biskri (décédé 1748), soufi voyageur et poète, célèbre pour son Wird Essahar, initié par Sidi Abdou Latif Al Halabi (Alep en Syrie) El khalwati, est à l'origine de l'introduction de la tariqa en Egypte. Il initia à son tour le doyen de la prestigieuse université d'Al Azhar, Sidi Ben Salem El Hafnaoui (décédé en 1767).
Sidi M’hammed ben Adberrahman ben Ahmed el Guejtouli el Djerdjeri el Azhari est né vers 1720 dans le petit village d'Aït Smaïl , près de Boghni. Dés son jeune âge, il étudia le Coran et dans les années 1740 il compléta l'essentiel de sa formation à l'université d'El Azhar du Caire.
La notoriété de Sidi M’hammed augmentait de jour en jour. Des disciples et étudiants venaient de tous les coins du pays. Sa Tariqa Khalwatia est devenu la Rahmania, en référence à Abderrahmane, nom de son père.
Sidi M’hemmed ben Adberrahman ben Ahmed Bou Qabrine
Saint fondateur de la Tariqa Rahmania
En Kabylie autonome, avant la colonisation française, régnait du point de vue religieux la confrérie Rahmania. Elle est un mélange entre la tradition amazigh Gouramienne (avant l'islam) et le mysticisme islamique (soufisme d'Ibn Arabi de Cordoue).
Le saint fondateur de la Tariqa Khalwatia-Rahmania (1715 et 1793), Sidi M’hammed Ben Abderrahmane Ben Ahmed El-Guejtouli, El-Djerdjeri, El-Azhari est né vers 1720 dans le village des Aït Smaïl dans la région de Boghni en Kabylie. Il appartenait à la tribu des Guejtoula d’où le surnom d’El-Guejtouli, El-Djerdjeri pour le Djurdjura d’où il venait et El-Azhari pour l’université d’Al-Azhar où il va étudier vers l’âge de vingt ans.
Dés son jeune âge, il étudia le Couran et dans les années 1740 dans la Zaouïa du Cheikh Sidi Hussein Ibn Arab des béni Iraten, une Zaouïa du Djurdjura surnommé Montagne de la lumière (Djebel El noure), en raison du très grand nombre de centre de rayonnement spirituel et religieux que comptait cette région.
Mais rien ne valait un voyage en Orient pour approfondir sa science et compléter ses connaissances. M’hammed Ben Abderrahmane va alors à l’université d’Al-Azhar en Egypte pour étudier.
A Al-Azhar, il a comme maître reconnu, le Cheikh Mohamed Ibn Salem Al-Hafnaoui, c’est lui qui va l’initier à la Tariqa Khalwatia. La Khalwatia est une pratique soufie. Elle tire son nom du mot «khalwa» qui signifie retraite, et pour la Tariqa Khalwatiya, la retraite spirituelle du pratiquant en est le principe fondamental. En référence à la retraite spirituelle du prophète Mohamed (âlih eçalat wessalam), dans la grotte de Hira’, et à la retraite du prophète Moussa (âlih essalam) sur le mont Sinaï.
Le Khalwi doit se retirer dans une grotte ou alors dans une pièce fermée, pour pratiquer la prière, la méditation, la récitation du Coran et le dhikr qui est l’invocation des noms d’Allah. Cette retraite avec très peu de nourriture, est d’une durée illimitée avec un minimum de trois jours.
Sidi M’hammed Ben Abderrahmane adopte cette Tariqa et s’y attache à un point tel que son maître Al-Hafnaoui l’envoie en mission prosélytique, au Soudan, en Turquie, au Hedjaz et en Inde, pour y enseigner et dispenser cette pratique Khalwatia. Son voyage dura pendant six années
Après trente ans d’absence, il revient enfin chez lui et s’installe d’abord dans son village des Aït Smaïl, en 1770. Il fonda, en 1774, la première Zaouïa Khalwatiya du Maghreb qui bientôt rayonnera sur toute l’Algérie et au-delà. Il rédigea de nombreux ouvrages peu connus du grand publique, dont la plus part demeurent sous forme de manuscrits.
C’est ainsi que Sidi M’Hammed avait introduit la Tariqa Khalwatia en Algérie. Par la suite, Il décida de s’installer à Alger pour y fonder une autre Zaouïa à la Daïra El-Hamma où il enseigna et prêcha avec grand succès, durant une vingtaine d’années.
Cette Zaouïa, devenue un lieu privilégié de la Khalwa de ceux qui viennent demander l'initiation. Le cheikh aura pour disciples Sidi Abderrahmane Bacha Tarzi El Kosantini qui propagera la Tariqa dans le Constantinois et dans tout l'Est du pays, Sidi Ibn Azzouz El Bordji, Sidi Ameziane El Haddad, chef spirituel de la révolte d'El Mokrani, Sidi Ahmed Tidjani fondateur de la tariqa Tidjaniya et bien d'autres.
Vers la fin de sa vie, suite à une accusation conflictuelle par les Oulémas de la Cité l'accusant de bidaa (innovation impie) ; la population du Djurdjura manifeste son soutien à Sidi M’hammed et le gouvernement turc, peu soucieux de susciter une situation aux conséquences imprévisibles, fit rendre un arrêt favorable au cheikh.
Avant sa mort, en 1793, le maître retourne à Aït Smaïl et six moi plus tard après son retour, il réunit ses adeptes et leur désigna son successeur Sidi Ali Ben Aïssa. Il renda l’âme le lendemain de cette investiture et l’âge de 73 ans.
Ses disciples l’enterrent tout naturellement dans le cimetière du village. Mais pour éviter de créer un pôle de rassemblements dans une zone rebelle (blad siba), le gouvernement (makhzen) Turc résolut de récupérer la dépouille du saint pour l’enterrer dans la grande Zaouïa d’Alger.
Alors et à cet effet, un groupe de khouans algérois se rendit à Aït Smaïl. Il se heurta à l'opposition déterminée des Amazighrs, mais prétendit quand néanmoins avoir rapporté le corps du saint qui fut inhumé au Hamma, où on lui construisit un mausolée et une mosquée.
Les Aït Smaïl décidèrent de trancher ce conflit en ouvrant sa tombe. Et la légende populaire affirme que l'on retrouva la dépouille telle qu'elle fut enterrée. Depuis, Sidi M'hammed est surnommé Bou Quabrine (le saint aux deux tombeaux) pour témoigner d'un de ses nombreux prodiges
Aujourd’hui Sidi M’hammed, surnommé Bou Quabrin, figure sur la liste des «Awliya çal’hine» d’Alger, puisque son nom a été donné à un quartier, plus encore, à toute une daïra de la wilaya d’Alger, afin de conserver sa mémoire et le garder en exemple.
A la mort de Sidi M’hammed, en 1793, succèderont successivement Ali ben Aïssa pendant 43 ans (jusqu'en 1836), Belkacem Ou Elhafid des Babords, puis Hadj Bachir, Lalla Khedidja (la veuve d'Ali ben Aïssa), Mohamed ben Belkacem Naït Anan (des Aît Zmenzer), puis à partir de 1844, Sidi Hadj Amar, un des chefs de la résistance de 1857 à la conquête coloniale française.
Après la défaite de 1857, Sidi Hadj Amar se refugia à Tunis. C'est M’hand Améziane Ihaddaden de Seddouk devient le maître de l'ordre.
Ce M’hand Améziane plus connu sous le nom de Cheikh Al Haddad, celui-là même qui, en 1871 allait mobiliser plus de cent mille combattants pour répondre à l'appel du bachagha Hadj M’hand Aït Mokrane (El Mokrani) lors du soulèvement contre l'ordre colonial. M’hand Améziane, âgé alors de plus de 80 ans, était non seulement considéré comme le chef spirituel de l'ordre Rahmania, mais également comme un Agourram supérieur.
Rayonnement des Zaouïa Rahmania
La Tariqa Rahmania continua à prospérer à travers le pays. De nombreuses zaouiyate sont fondées ici et là et la Rahmania devient très vite la Tariqa qui compte le plus d'adeptes en Algérie.
Même, la résistance de l'Emir Abdelkader avait ses bases arrière dans la Zaouïa du Cheikh Sidi Mohamed Ibn Belgacem, originaire de la petite bourgade d'El Hamel dont la création de la Zaouïa remontant au XI siècle et forme un haut lieu des pèlerins des Chorfas de Djebel Rached, descendants de Sidi Bouzid.
El-Hamel, distant d’une quinzaine de Km au Sud-ouest de Bou-Saâda, est bâti sur deux collines. La première supporte le village des Chorfas d’un grand caractère saharien. Sur la seconde s’élève la Zaouïa ressemblant à un Rîbat (forteresse) où repose Sidi Mohamed Ibn Belgacem. Dans le temps anciens des Chorfas, des Ouled Sid Ali, fraction des Ouled Bouzid, du Djebel Amour, venant de la Mecque, au nombre de trois frères, passèrent dans cette région. L’un continua sa route vers l’Ouest, tandis que les deux autres s’établirent sur le flanc de la montagne et fondèrent "El-Hamel". Ce nom est bien donné à ce coin, si perdu dans la montagne nue et sombre, et si voilé de lourd mystère.
La chefferie de la Zaouïa El Hamel sera assurée après la mort de Sidi Mohammed Ibn Belgacem par sa fille Lalla Zineb qui continua jusqu'à sa mort, huit ans plus tard, à assurer l'enseignement.
Plus tard, un évènement majeur fera de la Zaouïa d'El Hamel le pôle de la Tariqa Rahmania en souvenir de la recommandation du Cheikh El Haddad, dont le Cheikh Sidi Mustapha, père de Sidi Mohammed Al Maamoun, imposa au gouverneur d'Alger dans une entrevue restée célèbre, la réouverture de la Zaouïa d'El Hamma.
Depuis lors, toutes les Zaouïate Rahmania de Kabylie commémorent cet évènement, une fois par ans, par une zyara (visitation) à El Hamel où le dikhr Rahmani récité par les Khouanes (frères) fait écho aux chants mystiques clamés en amazigh par les femmes. Tandis que l’armée de Bugeaud achevait ses conquêtes et que les missionnaires Chrétiens tonnaient en chaire contre l’Islam, un grand nombre de cheikhs prestigieux de Zaouïas des Tarika khalouatia et chadlia levèrent l’étendard de la révolte.
La confrérie des Rahmania, ayant joué un rôle essentiel durant le soulèvement de 1871 qui déclencha un grand mouvement insurrectionnel sous le commandement de Si El Hadj Mohamed El Mokrani et de son frère Boumezraq, a survécu à la nuit coloniale et elle est toujours vivante en Algérie.
Durant la longue histoire de notre pays, les Zaouïas algériennes, écoles par excellence du Coran, des sciences religieuses et d’initiation au tassawùf, se sont impliquées dans la défense et l’expansion de l’Islam, ainsi que dans le combat pour la libération et l’indépendance de l’Algérie.
Les premières Zaouïas, implantées en Algérie, furent de véritables ribats, dont l’une des principales missions était de repousser les tentatives d’évangélisation des populations algériennes, notamment celles de François d’Assise en 1212, de Raymond Lulle en 1276, des Capucins de Matteo Bascio en 1538, des Récollets vers 1600…….
Dans les premiers temps de l'islam, c'est-à-dire en gros jusqu'à la chute des Al-Muwahhidynes (Almohades en français) à la fin du XIIIème siècle, les Amazighen avaient tentés d'échapper aux rigueurs de l'orthodoxie musulmane par l'invention de doctrines nouvelles. Ainsi, les Kharidjites de Tahert, avaient fondé le premier Etat véritablement national; les Kotama (de Bougie) avaient crée le troisième Khalifat fatimide panislamique après celui des Umawiyn (Omeyades en français) et des Abbassides ont fondé l'université d'El Azhar au Caire; les Al-Murabitun (Almoravides en français) avaient crée un empire amazigh; les Al-Muwahhidynes avaient réalisé l'apogée à la fois de l'histoire et de la pensée de ce temps.
Au départ, le mouvement Al-Murabitun est crée pour s'opposer aux actions de plus en plus entreprenantes de la Reconquista Hispano-portugaise sur les côtes Nord-Africaines.
Il est inutile de rappeler que c’est en souvenir des ribats Almoravides, où on apprenait le Coran, la science du hadith et les préceptes de l’Islam ainsi que le maniement des armes, que s’est formé le nom de "mrabet" que les Français désignent sous le nom incorrect et péjoratif de "marabout".
Le nom marabout est une forme berbériste du terme arabe (mrabet), lui-même homonyme populaire du classique Murabit; d'où est sorti almoravides.
Le terme du nom originel (antéislamique) de marabout c'est Agourram, désignant surtout un personnage doué de pouvoirs plus magiques que religieux. Celui-ci ne gère point le domaine du sacré mais manipule les forces supranaturelles.
La baraka du marabout est un pouvoir surnaturel, il opère des miracles. Pour cela, il est le lieu à la fois des espoirs et de toutes les craintes : on attend (ou on redoute) de lui autant que Dieu. Parce que en tant qu’homme, quoique marabout, il est plus proche de nos manques, de nos misères et de nos vœux..."
Le maraboutisme serait né dans le sud-ouest Marocain à Séguia Al-Hamra Arabia, le Rio de Oro Espagnol "le fleuve rouge" ou l'actuel Sahara Occidental. "...Très vite, le maraboutisme, se réclamant de la lignée du Prophète (les Chorfas), avait annexé les pouvoirs, le statut et les valeurs des anciens Agourram...".
À leur arrivée en Kabylie au XVIe siècle et à cette époque, le maraboutisme a déjà accompli sa mutation en agourram. Car, les marabouts (presque tous des Amazighs arabisés à vocation religieuse ou/et guerrière se réclamant des Béni Hassan, petit fils du Prophète, du Sud-ouest Marocain) trouvèrent dans la région des conditions sociologiques et culturelles semblables à celle de leur pays d'origine.
Les tribus qui peuplaient à l’origine ce qui fut le Sahara espagnol (Séguia el-Hamra et Río de Oro) étaient des Berbères Sanhadja et Zenâtas et nomadisaient dans un espace compris entre le cap Bon et le Sud Marocain dans des zones qui relèvent aujourd’hui de la souveraineté de trois États : la Mauritanie, le Maroc et l’Algérie.
Pour comprendre l’origine de cette catégorie de population, son état d’esprit et son rôle, il faudrait remonter dans l’histoire du Maghreb afin de situer les évènements qui l’avaient placée en ces lieux.
Nombreux parmi ces Al-Murabituns, les uns fuyant la répression, les autres par solidarité avec leurs Khouans, quittèrent leur pays. Un certain nombre d’entre eux se dirigèrent vers le Sud et se rassemblèrent à Séguia -el-Hamra autour du Ribat. Pour se rendre mystérieux, lors de leur déplacement, ils déclaraient venir du pays lointain de l’Ouest (afin que nul ne puisse contrôler leurs dires), de Séguia-el Hamra.
Grâce à leur savoir, leur sagesse, leur simplicité, ils acquirent une telle renommée qu’on venait de loin pour les consulter sur des litiges d’ordre religieux et qu’on leur envoyait leurs enfants s’initier aux sciences islamiques dans leur Zaouia.
Respectés de leur vivant, ils furent vénérés à leur mort et leur tombe ou leur mausolée, entourés de légendes, devinrent un lieu de pèlerinage. Leurs descendants qui suivirent la même voie, appelés "Ahl el ilm", conservèrent le même prestige et jouèrent un rôle important dans la vie politique du pays (soulèvement contre les Turcs, contre la colonisation française).
Genèse de la Tariqa Khalwatia Rahmania
A la fin du XIVe, début du XVe siècle, une célèbre confrérie fit son apparition en Algérie : c’est celle de la tarîqa Khalouatia donnant naissance aux confréries Tidjania et Rahmania.
Le nom Khalwatia prend son origine de la Khalwa (retraite) qui est le plus important des fondements de cette méthode de direction spirituelle qui remonte au saint Prophète s.s.p.
Sidi Mustapha Kamal Eddine El Biskri (décédé 1748), soufi voyageur et poète, célèbre pour son Wird Essahar, initié par Sidi Abdou Latif Al Halabi (Alep en Syrie) El khalwati, est à l'origine de l'introduction de la tariqa en Egypte. Il initia à son tour le doyen de la prestigieuse université d'Al Azhar, Sidi Ben Salem El Hafnaoui (décédé en 1767).
Sidi M’hammed ben Adberrahman ben Ahmed el Guejtouli el Djerdjeri el Azhari est né vers 1720 dans le petit village d'Aït Smaïl , près de Boghni. Dés son jeune âge, il étudia le Coran et dans les années 1740 il compléta l'essentiel de sa formation à l'université d'El Azhar du Caire.
La notoriété de Sidi M’hammed augmentait de jour en jour. Des disciples et étudiants venaient de tous les coins du pays. Sa Tariqa Khalwatia est devenu la Rahmania, en référence à Abderrahmane, nom de son père.
Sidi M’hemmed ben Adberrahman ben Ahmed Bou Qabrine
Saint fondateur de la Tariqa Rahmania
En Kabylie autonome, avant la colonisation française, régnait du point de vue religieux la confrérie Rahmania. Elle est un mélange entre la tradition amazigh Gouramienne (avant l'islam) et le mysticisme islamique (soufisme d'Ibn Arabi de Cordoue).
Le saint fondateur de la Tariqa Khalwatia-Rahmania (1715 et 1793), Sidi M’hammed Ben Abderrahmane Ben Ahmed El-Guejtouli, El-Djerdjeri, El-Azhari est né vers 1720 dans le village des Aït Smaïl dans la région de Boghni en Kabylie. Il appartenait à la tribu des Guejtoula d’où le surnom d’El-Guejtouli, El-Djerdjeri pour le Djurdjura d’où il venait et El-Azhari pour l’université d’Al-Azhar où il va étudier vers l’âge de vingt ans.
Dés son jeune âge, il étudia le Couran et dans les années 1740 dans la Zaouïa du Cheikh Sidi Hussein Ibn Arab des béni Iraten, une Zaouïa du Djurdjura surnommé Montagne de la lumière (Djebel El noure), en raison du très grand nombre de centre de rayonnement spirituel et religieux que comptait cette région.
Mais rien ne valait un voyage en Orient pour approfondir sa science et compléter ses connaissances. M’hammed Ben Abderrahmane va alors à l’université d’Al-Azhar en Egypte pour étudier.
A Al-Azhar, il a comme maître reconnu, le Cheikh Mohamed Ibn Salem Al-Hafnaoui, c’est lui qui va l’initier à la Tariqa Khalwatia. La Khalwatia est une pratique soufie. Elle tire son nom du mot «khalwa» qui signifie retraite, et pour la Tariqa Khalwatiya, la retraite spirituelle du pratiquant en est le principe fondamental. En référence à la retraite spirituelle du prophète Mohamed (âlih eçalat wessalam), dans la grotte de Hira’, et à la retraite du prophète Moussa (âlih essalam) sur le mont Sinaï.
Le Khalwi doit se retirer dans une grotte ou alors dans une pièce fermée, pour pratiquer la prière, la méditation, la récitation du Coran et le dhikr qui est l’invocation des noms d’Allah. Cette retraite avec très peu de nourriture, est d’une durée illimitée avec un minimum de trois jours.
Sidi M’hammed Ben Abderrahmane adopte cette Tariqa et s’y attache à un point tel que son maître Al-Hafnaoui l’envoie en mission prosélytique, au Soudan, en Turquie, au Hedjaz et en Inde, pour y enseigner et dispenser cette pratique Khalwatia. Son voyage dura pendant six années
Après trente ans d’absence, il revient enfin chez lui et s’installe d’abord dans son village des Aït Smaïl, en 1770. Il fonda, en 1774, la première Zaouïa Khalwatiya du Maghreb qui bientôt rayonnera sur toute l’Algérie et au-delà. Il rédigea de nombreux ouvrages peu connus du grand publique, dont la plus part demeurent sous forme de manuscrits.
C’est ainsi que Sidi M’Hammed avait introduit la Tariqa Khalwatia en Algérie. Par la suite, Il décida de s’installer à Alger pour y fonder une autre Zaouïa à la Daïra El-Hamma où il enseigna et prêcha avec grand succès, durant une vingtaine d’années.
Cette Zaouïa, devenue un lieu privilégié de la Khalwa de ceux qui viennent demander l'initiation. Le cheikh aura pour disciples Sidi Abderrahmane Bacha Tarzi El Kosantini qui propagera la Tariqa dans le Constantinois et dans tout l'Est du pays, Sidi Ibn Azzouz El Bordji, Sidi Ameziane El Haddad, chef spirituel de la révolte d'El Mokrani, Sidi Ahmed Tidjani fondateur de la tariqa Tidjaniya et bien d'autres.
Vers la fin de sa vie, suite à une accusation conflictuelle par les Oulémas de la Cité l'accusant de bidaa (innovation impie) ; la population du Djurdjura manifeste son soutien à Sidi M’hammed et le gouvernement turc, peu soucieux de susciter une situation aux conséquences imprévisibles, fit rendre un arrêt favorable au cheikh.
Avant sa mort, en 1793, le maître retourne à Aït Smaïl et six moi plus tard après son retour, il réunit ses adeptes et leur désigna son successeur Sidi Ali Ben Aïssa. Il renda l’âme le lendemain de cette investiture et l’âge de 73 ans.
Ses disciples l’enterrent tout naturellement dans le cimetière du village. Mais pour éviter de créer un pôle de rassemblements dans une zone rebelle (blad siba), le gouvernement (makhzen) Turc résolut de récupérer la dépouille du saint pour l’enterrer dans la grande Zaouïa d’Alger.
Alors et à cet effet, un groupe de khouans algérois se rendit à Aït Smaïl. Il se heurta à l'opposition déterminée des Amazighrs, mais prétendit quand néanmoins avoir rapporté le corps du saint qui fut inhumé au Hamma, où on lui construisit un mausolée et une mosquée.
Les Aït Smaïl décidèrent de trancher ce conflit en ouvrant sa tombe. Et la légende populaire affirme que l'on retrouva la dépouille telle qu'elle fut enterrée. Depuis, Sidi M'hammed est surnommé Bou Quabrine (le saint aux deux tombeaux) pour témoigner d'un de ses nombreux prodiges
Aujourd’hui Sidi M’hammed, surnommé Bou Quabrin, figure sur la liste des «Awliya çal’hine» d’Alger, puisque son nom a été donné à un quartier, plus encore, à toute une daïra de la wilaya d’Alger, afin de conserver sa mémoire et le garder en exemple.
A la mort de Sidi M’hammed, en 1793, succèderont successivement Ali ben Aïssa pendant 43 ans (jusqu'en 1836), Belkacem Ou Elhafid des Babords, puis Hadj Bachir, Lalla Khedidja (la veuve d'Ali ben Aïssa), Mohamed ben Belkacem Naït Anan (des Aît Zmenzer), puis à partir de 1844, Sidi Hadj Amar, un des chefs de la résistance de 1857 à la conquête coloniale française.
Après la défaite de 1857, Sidi Hadj Amar se refugia à Tunis. C'est M’hand Améziane Ihaddaden de Seddouk devient le maître de l'ordre.
Ce M’hand Améziane plus connu sous le nom de Cheikh Al Haddad, celui-là même qui, en 1871 allait mobiliser plus de cent mille combattants pour répondre à l'appel du bachagha Hadj M’hand Aït Mokrane (El Mokrani) lors du soulèvement contre l'ordre colonial. M’hand Améziane, âgé alors de plus de 80 ans, était non seulement considéré comme le chef spirituel de l'ordre Rahmania, mais également comme un Agourram supérieur.
Rayonnement des Zaouïa Rahmania
La Tariqa Rahmania continua à prospérer à travers le pays. De nombreuses zaouiyate sont fondées ici et là et la Rahmania devient très vite la Tariqa qui compte le plus d'adeptes en Algérie.
Même, la résistance de l'Emir Abdelkader avait ses bases arrière dans la Zaouïa du Cheikh Sidi Mohamed Ibn Belgacem, originaire de la petite bourgade d'El Hamel dont la création de la Zaouïa remontant au XI siècle et forme un haut lieu des pèlerins des Chorfas de Djebel Rached, descendants de Sidi Bouzid.
El-Hamel, distant d’une quinzaine de Km au Sud-ouest de Bou-Saâda, est bâti sur deux collines. La première supporte le village des Chorfas d’un grand caractère saharien. Sur la seconde s’élève la Zaouïa ressemblant à un Rîbat (forteresse) où repose Sidi Mohamed Ibn Belgacem. Dans le temps anciens des Chorfas, des Ouled Sid Ali, fraction des Ouled Bouzid, du Djebel Amour, venant de la Mecque, au nombre de trois frères, passèrent dans cette région. L’un continua sa route vers l’Ouest, tandis que les deux autres s’établirent sur le flanc de la montagne et fondèrent "El-Hamel". Ce nom est bien donné à ce coin, si perdu dans la montagne nue et sombre, et si voilé de lourd mystère.
La chefferie de la Zaouïa El Hamel sera assurée après la mort de Sidi Mohammed Ibn Belgacem par sa fille Lalla Zineb qui continua jusqu'à sa mort, huit ans plus tard, à assurer l'enseignement.
Plus tard, un évènement majeur fera de la Zaouïa d'El Hamel le pôle de la Tariqa Rahmania en souvenir de la recommandation du Cheikh El Haddad, dont le Cheikh Sidi Mustapha, père de Sidi Mohammed Al Maamoun, imposa au gouverneur d'Alger dans une entrevue restée célèbre, la réouverture de la Zaouïa d'El Hamma.
Depuis lors, toutes les Zaouïate Rahmania de Kabylie commémorent cet évènement, une fois par ans, par une zyara (visitation) à El Hamel où le dikhr Rahmani récité par les Khouanes (frères) fait écho aux chants mystiques clamés en amazigh par les femmes. Tandis que l’armée de Bugeaud achevait ses conquêtes et que les missionnaires Chrétiens tonnaient en chaire contre l’Islam, un grand nombre de cheikhs prestigieux de Zaouïas des Tarika khalouatia et chadlia levèrent l’étendard de la révolte.
La confrérie des Rahmania, ayant joué un rôle essentiel durant le soulèvement de 1871 qui déclencha un grand mouvement insurrectionnel sous le commandement de Si El Hadj Mohamed El Mokrani et de son frère Boumezraq, a survécu à la nuit coloniale et elle est toujours vivante en Algérie.