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Matériaux pour la recherche en sciences sociales D'échelle en échelle: la confrontation global / local
Riad BENSOUIAH
Pasteurs et agro-pasteurs de la steppe algérienne
Enquête sur la rgion de Djebel Amour
Résumé
Sur la base des résultats d’une enquête menée au cours du printemps 1996, l’auteur s’efforce de cerner quelques-unes des dynamiques à l’œuvre au sein des différentes catégories de pasteurs et d’agro-pasteurs de la région de Djebel Amour : face aux évolutions récentes, les plus « aisés » adoptent des stratégies visant à une maximisation des profits, tandis que les moins nantis s’efforcent avant tout d’assurer le maintien de leur niveau de vie.
Abstract
Basing himself on the results of an enquiry led in the spring of 1996, the author tries to determine some of the dynamics at work within the different categories of pastors and agro-pastors from the region of Djebel Amour. Confronted to recent evolutions, the wealthiest adopt strategies aiming at a maximization of their benefits, while the less rich struggle to preserve their living standards.
Table des matières
Présentation de l’enquête
Le mode de mise en valeur des ressources : un décalage entre disponibilités et besoins
La privatisation de fait de certains parcours
Une activité agropastorale au devenir aléatoire
Conclusion
Texte intégral
La steppe algérienne, bande longitudinale qui s’étale des frontières est aux frontières ouest sur une superficie d’environ 20 millions d’hectares, a toujours été un territoire d’élevage dédié en premier lieu aux ovins.
Traditionnellement, la transhumance était pratiquée par les pasteurs afin d’offrir à leurs troupeaux des pâturages d’été en se déplaçant au nord tellien1 pour échapper au climat aride de la steppe, et des pâturages d’hiver au sud de la steppe afin d’éviter aux animaux le froid rude des zones steppiques. Le pastoralisme était donc fondé sur deux grands déplacements annuels par lesquels les éleveurs s’efforçaient de préserver leurs cheptels et de permettre la régénération des pâturages.
Aujourd’hui, les pratiques du pastoralisme ont changé. Ces changements sociaux, économiques, organisationnels ou même naturels, ont eu des effets non seulement sur la vie des pasteurs, mais aussi et surtout sur le milieu naturel. Dans toutes les steppes du monde, on parle de dégradation des parcours2 et bien évidemment la steppe algérienne ne fait pas exception.
Source : Carte élaborée par R. Bensouiah.
La dégradation des qualités écologiques (réduction de la biodiversité) et paysagères (extension du paysage désertique), ainsi que la réduction de la superficie des parcours, principal facteur de production sur lequel se basait l’activité, ne peuvent plus être négligées.
Toutefois, les changements de nature différente interagissent de telle façon qu’il est difficile d’affirmer que la dégradation du milieu serait à l’origine de la paupérisation constatée dans la steppe algérienne, car l’inverse est tout aussi vrai. Seule une analyse dynamique, tentant de retracer les différentes phases d’évolution de la société et des espaces pastoraux algériens, pourrait permettre de sortir de cette difficulté. Cette étude de cas tente d’y contribuer, en s’efforçant d’identifier quelques-unes des stratégies développées par les pasteurs et les agro-pasteurs de la steppe algérienne pour faire face aux transformations de leur territoire et de leur mode de vie.
Données socio-économiques sur la région
1. Répartition générale des terres en 1994.
Superficie (Hectare)
Part (%)
Surface agricole utile (SAU)
25 939
5,63
Pacages et parcours
36 5743
79,34
Autres
51 678
11,21
Totale terres agricoles
443 360
96,17
Exploitations forestières
17 640
3,83
Superficie totale de la région
461 000
100
Source : DSA de la Wilaya de Laghouat, 1995.
2. Évolution de la population de la région entre 1977 et 1994.
1966
1977
1987
1991
1994
Population totale
9 296
52 500
69 834
82 583
90 308
Indice d’évolution
100
564,76
751,22
888,71
971,47
Part dans la population de la wilaya (%)
21,43
35,37
32,88
32,83
32,44
Source : DPAT de la wilaya de Laghouat
Présentation de l’enquête
Notre étude repose sur les résultats d’une enquête que nous avons réalisée dans la région du Djebel Amour, plus précisément centrée sur le massif du Djebel Amour (Atlas Saharien), localisé au nord de la wilaya de Laghouat, environ à 300 km à vol d’oiseau au sud d’Alger. Cette région s’étend sur une superficie de 4 810 km2. Du point de vue administratif, elle comprend trois daïrates et huit communes3.
Physiquement, elle est constituée par deux zones naturellement bien distinctes : la zone des Hauts Plateaux steppiques, située au nord et à caractère agro-pastoral-alfatier, et celle de l’Atlas saharien, située au sud et à caractère sylvo-agro-pastoral.
L’enquête a été menée durant le printemps 1996 auprès d’un échantillon représentatif d’exploitations pastorales, agricoles et agropastorales de six communes de la région.
Dans un premier temps, nous avons constitué des listes des exploitations de chaque commune par enquête auprès des Assemblées populaires communales et des notables de chaque Douar4. Au total, 3 536 exploitations ont ainsi été identifiées sur les six communes, chaque exploitation étant caractérisée par un certain nombre de critères : commune d’appartenance, caractéristiques juridiques (nom patronymique, filiation du chef…), paramètres techniques (Superficie Agricole Utile, nombre de brebis reproductrices, présence d’un tracteur agricole…).
Dans un second temps, nous avons classé ces exploitations en six catégories :
Tableau 1. Classification des exploitations recensées.
Catégorie
SAU
Brebis
Tracteur
Nombre d’exploi-
tations recensées
Désignation
1
+
+
+
117
Agro-éleveur mécanisé
2
+
+
-
2 491
Agro-éleveurs non mécanisé
3
-
+
+
8
Éleveur mécanisé
4
+
-
-
593
Agriculteur non mécanisé
5
-
+
-
315
Éleveur non mécanisé
6
+
-
+
12
Agriculteur mécanisé
Pour la catégorie 3, notons que l'éleveur, par définition sujet à une mobilité dans l’espace, peut ne pas disposer de superficie agricole. En revanche l’agro-pasteur, du fait de sa pratique d’autres activités et de la nature de son système de production, dispose de SAU et éventuellement de tracteurs.
La catégorie 5 a été divisée en cinq sous-catégories, en fonction du nombre de brebis reproductrices :
Tableau 2. Répartition des éleveurs non mécanisés selon la taille du cheptel reproducteur
Sous-catégorie
Nombre de brebis reproductrices
Nombre d’exploitations
51
1 à 20 têtes
107
52
21 à 50 têtes
103
53
51 à 100 têtes
44
54
101 à 200 têtes
40
55
Supérieur ou égal à 201 têtes
21
Nous avons ensuite procédé à un tirage au hasard d’un échantillon de 200 exploitations, conforme à la répartition par catégories de la population mère (le taux de sondage atteint étant de 5,66 %). Toutefois, lors de l’enquête, il s’est avéré qu’une dizaine d’entre elles avaient connu récemment des changements de caractéristiques ou s’avéraient peu représentatives. Afin d’atténuer le risque d’introduction de biais, nous les avons éliminées et avons finalement retenu 190 exploitations.
Par le biais de questionnaires, puis du traitement des données recueillies, nous nous sommes ensuite efforcés de cerner les principaux aspects des dynamiques en cours dans la région, et en particulier d’identifier les stratégies des pasteurs et agro-pasteurs. Quelques-uns de ces aspects sont présentés ici5.
Le mode de mise en valeur des ressources : un décalage entre disponibilités et besoins
Si l’on suit Ph. Daget et M. Gordon, « le pastoralisme en tant qu’activité est le moyen le plus efficace pour utiliser les ressources sur les terres sèches ou marginales. En temps normal, les pasteurs nomades sont souvent mieux nantis que les agriculteurs sédentaires. Ils peuvent déplacer leurs bêtes pour suivre les pluies ou les conduire aux pâturages saisonniers établis. Mais ils sont souvent les premières victimes du stress environnemental prolongé, par exemple la sécheresse »6.
La principale ressource des zones steppiques reste « le parcours ». Espace commun selon son statut juridique, il constitue le principal facteur de production. Les parcours occupent une grande part de la superficie des zones steppiques. Leur étendue ainsi que leurs caractéristiques naturelles les dédient beaucoup plus à l’activité pastorale qu’à d’autres activités économiques, d’où l’attribut « vocation pastorale ».
Dans la région de Djebel Amour, ces parcours représentent 29 % de la superficie totale. Le couvert végétal est dominé principalement par deux espèces, l’alfa (stipa tenacissima) et l’armoise blanche (artmisea herba alba) dont le nom local est chih, qui constituent l’essentiel de l’offre en pâturage pour les espèces animales domestiques.
Toutefois, si les déplacements que pratiquaient les pasteurs permettaient – en théorie du moins – la régénération des parcours et la reprise du couvert végétal, cette dynamique a été rompue récemment du fait de l’accroissement du cheptel dans la région, comme partout ailleurs dans la steppe algérienne, et de la sédentarisation simultanée des hommes induisant une surcharge de certains parcours.
L’accroissement du cheptel de la région a en effet été considérable puisqu’on a enregistré une croissance annuelle moyenne de 5 716 têtes, correspondant à une progression des effectifs de 124 590 têtes en 1955 à 351 432 têtes en 1994 (Cf. graphe 1).
Le surpâturage est ainsi devenu chronique, engendrant une dégradation continue des parcours. La charge pastorale est le meilleur indicateur pour estimer ce degré de dégradation. Si la charge qui permettait l’équilibre a pu être estimée en 1982 à 0,25 têtes/ha (Boukhobza, 1982), soit 4 hectares pour un ovin, celle constatée à Djebel Amour est quatre fois plus élevée, atteignant 0,96 têtes/ha. Elle est même beaucoup plus élevée dans les zones les plus accessibles, notamment dans celle des hauts plateaux steppiques : par exemple, dans la commune d’Ain Sidi Ali, cette charge représente 11 fois la norme citée plus haut.
En 1955, on enregistrait 0,37 têtes/ha, ce qui conférait à la région une situation proche de la « normale ». La charge pastorale de la région est ensuite passée de 0,55 têtes/ha en 1987 à 0,96 têtes/ha en 1994.
Graphe 1. Évolution du cheptel ovin dans la région de Djebel Amour entre 1955 et 1994
Source : J. Depois (1957) et DSA de la wilaya de Laghouat.
Tableau 3. évolution de la charge pastorale par commune entre 1987 et 1994 (tête/ha)
1987
1991
1994
Aflou
0,39
1,70
1,22
Sidi Bouzid
0,28
2,16
0,29
Sebgag
1,41
2,09
1,59
Gueltet Sidi Saâd
0,29
0,78
0,52
Ain Sidi Ali
0,96
2,5
2,86
Beïdha
0,36
1,83
0,46
Hadj Mecheri
0,75
1,37
1,18
Brida
1,01
0,78
1,65
Région
0,55
1,40
0,96
Source : Calculé par l’auteur d’après les données de la DSA de Laghouat.
Notons que la régression constatée au niveau de certaines communes entre 1991 et 1994 est due au fait que leurs parcours sont dans un état avancé de dégradation et n’attirent plus les troupeaux qui se dirigent vers les parcours moins dégradés de Brida et plus encore d’Ain Sidi Ali : d’où la forte augmentation de la charge pastorale dans ces deux communes.
L’ensemble des communes affiche des charges pastorales élevées par rapport à la norme admise. Toutefois, à la lecture du tableau, deux catégories de communes peuvent être distinguées : celles qui accusent une progression quasi continue de leur charge, induisant une intensification du processus de dégradation des parcours, et celles qui affichent une croissance moyenne eu égard à l’ensemble.
La privatisation de fait de certains parcours
En rupture avec le mode de production ancestral, on est passé d’un élevage transhumant, fondé sur la mobilité des hommes et des animaux, à un élevage fixe basé sur la complémentation de l’alimentation des animaux. Le début de ce passage, d’un mode de conduite ancestral à un mode de conduite nouveau dont les pasteurs ignorent les règles mais surtout les conséquences sur leur environnement, remonte à peu près à un siècle. Toutefois, c’est à partir des années soixante-dix que l’on assiste à une amplification des modifications observées. La plus grande partie des éleveurs et agro-éleveurs enquêtés situe dans ces années soixante-dix le début de la complémentation de l’alimentation des animaux, tout comme les défrichements des terres de parcours et la sédentarisation.
Le recours à l’agriculture peut être interprété de différentes manières. Pour les plus riches, c’est une façon de s’approprier de l’espace, pour les pauvres, une source de revenus secondaires en l’absence d’emplois salariés. Les comportements observés obéissent ainsi à des motifs économiques.
Pour asseoir leur stratégie de délimitation-appropriation de terres, les plus riches s’appuient sur un droit coutumier qui, s’agissant d’une terre labourée, prévoit l’interdiction de la traverser. Ce procédé leur procure la pleine jouissance des terres de parcours dont ils ont pris possession.
Matériaux pour la recherche en sciences sociales D'échelle en échelle: la confrontation global / local
Riad BENSOUIAH
Pasteurs et agro-pasteurs de la steppe algérienne
Enquête sur la rgion de Djebel Amour
Résumé
Sur la base des résultats d’une enquête menée au cours du printemps 1996, l’auteur s’efforce de cerner quelques-unes des dynamiques à l’œuvre au sein des différentes catégories de pasteurs et d’agro-pasteurs de la région de Djebel Amour : face aux évolutions récentes, les plus « aisés » adoptent des stratégies visant à une maximisation des profits, tandis que les moins nantis s’efforcent avant tout d’assurer le maintien de leur niveau de vie.
Abstract
Basing himself on the results of an enquiry led in the spring of 1996, the author tries to determine some of the dynamics at work within the different categories of pastors and agro-pastors from the region of Djebel Amour. Confronted to recent evolutions, the wealthiest adopt strategies aiming at a maximization of their benefits, while the less rich struggle to preserve their living standards.
Table des matières
Présentation de l’enquête
Le mode de mise en valeur des ressources : un décalage entre disponibilités et besoins
La privatisation de fait de certains parcours
Une activité agropastorale au devenir aléatoire
Conclusion
Texte intégral
La steppe algérienne, bande longitudinale qui s’étale des frontières est aux frontières ouest sur une superficie d’environ 20 millions d’hectares, a toujours été un territoire d’élevage dédié en premier lieu aux ovins.
Traditionnellement, la transhumance était pratiquée par les pasteurs afin d’offrir à leurs troupeaux des pâturages d’été en se déplaçant au nord tellien1 pour échapper au climat aride de la steppe, et des pâturages d’hiver au sud de la steppe afin d’éviter aux animaux le froid rude des zones steppiques. Le pastoralisme était donc fondé sur deux grands déplacements annuels par lesquels les éleveurs s’efforçaient de préserver leurs cheptels et de permettre la régénération des pâturages.
Aujourd’hui, les pratiques du pastoralisme ont changé. Ces changements sociaux, économiques, organisationnels ou même naturels, ont eu des effets non seulement sur la vie des pasteurs, mais aussi et surtout sur le milieu naturel. Dans toutes les steppes du monde, on parle de dégradation des parcours2 et bien évidemment la steppe algérienne ne fait pas exception.
Source : Carte élaborée par R. Bensouiah.
La dégradation des qualités écologiques (réduction de la biodiversité) et paysagères (extension du paysage désertique), ainsi que la réduction de la superficie des parcours, principal facteur de production sur lequel se basait l’activité, ne peuvent plus être négligées.
Toutefois, les changements de nature différente interagissent de telle façon qu’il est difficile d’affirmer que la dégradation du milieu serait à l’origine de la paupérisation constatée dans la steppe algérienne, car l’inverse est tout aussi vrai. Seule une analyse dynamique, tentant de retracer les différentes phases d’évolution de la société et des espaces pastoraux algériens, pourrait permettre de sortir de cette difficulté. Cette étude de cas tente d’y contribuer, en s’efforçant d’identifier quelques-unes des stratégies développées par les pasteurs et les agro-pasteurs de la steppe algérienne pour faire face aux transformations de leur territoire et de leur mode de vie.
Données socio-économiques sur la région
1. Répartition générale des terres en 1994.
Superficie (Hectare)
Part (%)
Surface agricole utile (SAU)
25 939
5,63
Pacages et parcours
36 5743
79,34
Autres
51 678
11,21
Totale terres agricoles
443 360
96,17
Exploitations forestières
17 640
3,83
Superficie totale de la région
461 000
100
Source : DSA de la Wilaya de Laghouat, 1995.
2. Évolution de la population de la région entre 1977 et 1994.
1966
1977
1987
1991
1994
Population totale
9 296
52 500
69 834
82 583
90 308
Indice d’évolution
100
564,76
751,22
888,71
971,47
Part dans la population de la wilaya (%)
21,43
35,37
32,88
32,83
32,44
Source : DPAT de la wilaya de Laghouat
Présentation de l’enquête
Notre étude repose sur les résultats d’une enquête que nous avons réalisée dans la région du Djebel Amour, plus précisément centrée sur le massif du Djebel Amour (Atlas Saharien), localisé au nord de la wilaya de Laghouat, environ à 300 km à vol d’oiseau au sud d’Alger. Cette région s’étend sur une superficie de 4 810 km2. Du point de vue administratif, elle comprend trois daïrates et huit communes3.
Physiquement, elle est constituée par deux zones naturellement bien distinctes : la zone des Hauts Plateaux steppiques, située au nord et à caractère agro-pastoral-alfatier, et celle de l’Atlas saharien, située au sud et à caractère sylvo-agro-pastoral.
L’enquête a été menée durant le printemps 1996 auprès d’un échantillon représentatif d’exploitations pastorales, agricoles et agropastorales de six communes de la région.
Dans un premier temps, nous avons constitué des listes des exploitations de chaque commune par enquête auprès des Assemblées populaires communales et des notables de chaque Douar4. Au total, 3 536 exploitations ont ainsi été identifiées sur les six communes, chaque exploitation étant caractérisée par un certain nombre de critères : commune d’appartenance, caractéristiques juridiques (nom patronymique, filiation du chef…), paramètres techniques (Superficie Agricole Utile, nombre de brebis reproductrices, présence d’un tracteur agricole…).
Dans un second temps, nous avons classé ces exploitations en six catégories :
Tableau 1. Classification des exploitations recensées.
Catégorie
SAU
Brebis
Tracteur
Nombre d’exploi-
tations recensées
Désignation
1
+
+
+
117
Agro-éleveur mécanisé
2
+
+
-
2 491
Agro-éleveurs non mécanisé
3
-
+
+
8
Éleveur mécanisé
4
+
-
-
593
Agriculteur non mécanisé
5
-
+
-
315
Éleveur non mécanisé
6
+
-
+
12
Agriculteur mécanisé
Pour la catégorie 3, notons que l'éleveur, par définition sujet à une mobilité dans l’espace, peut ne pas disposer de superficie agricole. En revanche l’agro-pasteur, du fait de sa pratique d’autres activités et de la nature de son système de production, dispose de SAU et éventuellement de tracteurs.
La catégorie 5 a été divisée en cinq sous-catégories, en fonction du nombre de brebis reproductrices :
Tableau 2. Répartition des éleveurs non mécanisés selon la taille du cheptel reproducteur
Sous-catégorie
Nombre de brebis reproductrices
Nombre d’exploitations
51
1 à 20 têtes
107
52
21 à 50 têtes
103
53
51 à 100 têtes
44
54
101 à 200 têtes
40
55
Supérieur ou égal à 201 têtes
21
Nous avons ensuite procédé à un tirage au hasard d’un échantillon de 200 exploitations, conforme à la répartition par catégories de la population mère (le taux de sondage atteint étant de 5,66 %). Toutefois, lors de l’enquête, il s’est avéré qu’une dizaine d’entre elles avaient connu récemment des changements de caractéristiques ou s’avéraient peu représentatives. Afin d’atténuer le risque d’introduction de biais, nous les avons éliminées et avons finalement retenu 190 exploitations.
Par le biais de questionnaires, puis du traitement des données recueillies, nous nous sommes ensuite efforcés de cerner les principaux aspects des dynamiques en cours dans la région, et en particulier d’identifier les stratégies des pasteurs et agro-pasteurs. Quelques-uns de ces aspects sont présentés ici5.
Le mode de mise en valeur des ressources : un décalage entre disponibilités et besoins
Si l’on suit Ph. Daget et M. Gordon, « le pastoralisme en tant qu’activité est le moyen le plus efficace pour utiliser les ressources sur les terres sèches ou marginales. En temps normal, les pasteurs nomades sont souvent mieux nantis que les agriculteurs sédentaires. Ils peuvent déplacer leurs bêtes pour suivre les pluies ou les conduire aux pâturages saisonniers établis. Mais ils sont souvent les premières victimes du stress environnemental prolongé, par exemple la sécheresse »6.
La principale ressource des zones steppiques reste « le parcours ». Espace commun selon son statut juridique, il constitue le principal facteur de production. Les parcours occupent une grande part de la superficie des zones steppiques. Leur étendue ainsi que leurs caractéristiques naturelles les dédient beaucoup plus à l’activité pastorale qu’à d’autres activités économiques, d’où l’attribut « vocation pastorale ».
Dans la région de Djebel Amour, ces parcours représentent 29 % de la superficie totale. Le couvert végétal est dominé principalement par deux espèces, l’alfa (stipa tenacissima) et l’armoise blanche (artmisea herba alba) dont le nom local est chih, qui constituent l’essentiel de l’offre en pâturage pour les espèces animales domestiques.
Toutefois, si les déplacements que pratiquaient les pasteurs permettaient – en théorie du moins – la régénération des parcours et la reprise du couvert végétal, cette dynamique a été rompue récemment du fait de l’accroissement du cheptel dans la région, comme partout ailleurs dans la steppe algérienne, et de la sédentarisation simultanée des hommes induisant une surcharge de certains parcours.
L’accroissement du cheptel de la région a en effet été considérable puisqu’on a enregistré une croissance annuelle moyenne de 5 716 têtes, correspondant à une progression des effectifs de 124 590 têtes en 1955 à 351 432 têtes en 1994 (Cf. graphe 1).
Le surpâturage est ainsi devenu chronique, engendrant une dégradation continue des parcours. La charge pastorale est le meilleur indicateur pour estimer ce degré de dégradation. Si la charge qui permettait l’équilibre a pu être estimée en 1982 à 0,25 têtes/ha (Boukhobza, 1982), soit 4 hectares pour un ovin, celle constatée à Djebel Amour est quatre fois plus élevée, atteignant 0,96 têtes/ha. Elle est même beaucoup plus élevée dans les zones les plus accessibles, notamment dans celle des hauts plateaux steppiques : par exemple, dans la commune d’Ain Sidi Ali, cette charge représente 11 fois la norme citée plus haut.
En 1955, on enregistrait 0,37 têtes/ha, ce qui conférait à la région une situation proche de la « normale ». La charge pastorale de la région est ensuite passée de 0,55 têtes/ha en 1987 à 0,96 têtes/ha en 1994.
Graphe 1. Évolution du cheptel ovin dans la région de Djebel Amour entre 1955 et 1994
Source : J. Depois (1957) et DSA de la wilaya de Laghouat.
Tableau 3. évolution de la charge pastorale par commune entre 1987 et 1994 (tête/ha)
1987
1991
1994
Aflou
0,39
1,70
1,22
Sidi Bouzid
0,28
2,16
0,29
Sebgag
1,41
2,09
1,59
Gueltet Sidi Saâd
0,29
0,78
0,52
Ain Sidi Ali
0,96
2,5
2,86
Beïdha
0,36
1,83
0,46
Hadj Mecheri
0,75
1,37
1,18
Brida
1,01
0,78
1,65
Région
0,55
1,40
0,96
Source : Calculé par l’auteur d’après les données de la DSA de Laghouat.
Notons que la régression constatée au niveau de certaines communes entre 1991 et 1994 est due au fait que leurs parcours sont dans un état avancé de dégradation et n’attirent plus les troupeaux qui se dirigent vers les parcours moins dégradés de Brida et plus encore d’Ain Sidi Ali : d’où la forte augmentation de la charge pastorale dans ces deux communes.
L’ensemble des communes affiche des charges pastorales élevées par rapport à la norme admise. Toutefois, à la lecture du tableau, deux catégories de communes peuvent être distinguées : celles qui accusent une progression quasi continue de leur charge, induisant une intensification du processus de dégradation des parcours, et celles qui affichent une croissance moyenne eu égard à l’ensemble.
La privatisation de fait de certains parcours
En rupture avec le mode de production ancestral, on est passé d’un élevage transhumant, fondé sur la mobilité des hommes et des animaux, à un élevage fixe basé sur la complémentation de l’alimentation des animaux. Le début de ce passage, d’un mode de conduite ancestral à un mode de conduite nouveau dont les pasteurs ignorent les règles mais surtout les conséquences sur leur environnement, remonte à peu près à un siècle. Toutefois, c’est à partir des années soixante-dix que l’on assiste à une amplification des modifications observées. La plus grande partie des éleveurs et agro-éleveurs enquêtés situe dans ces années soixante-dix le début de la complémentation de l’alimentation des animaux, tout comme les défrichements des terres de parcours et la sédentarisation.
Le recours à l’agriculture peut être interprété de différentes manières. Pour les plus riches, c’est une façon de s’approprier de l’espace, pour les pauvres, une source de revenus secondaires en l’absence d’emplois salariés. Les comportements observés obéissent ainsi à des motifs économiques.
Pour asseoir leur stratégie de délimitation-appropriation de terres, les plus riches s’appuient sur un droit coutumier qui, s’agissant d’une terre labourée, prévoit l’interdiction de la traverser. Ce procédé leur procure la pleine jouissance des terres de parcours dont ils ont pris possession.